Note de lecture
A. Présentation
Alain Sinou est architecte-urbaniste et sociologue. Il a travaillé pendant plusieurs années sur l’histoire de la formation des villes de l’Afrique noire. Il est chercheur à l’ORSTOM et enseignant à l’Institut Français d’Urbanisme. Comptoirs et villes coloniales du Sénégal. Saint-Louis, Gorée, Dakar (1993) est la synthèse de sa thèse de troisième cycle soutenue en 1986 à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris et dirigée par Georges Balandier. Le but principal de l’ouvrage est de raconter comment la pensée et le mode d’action des français en Afrique de l’Ouest évoluent en matière d’aménagement, comment s’élaborent des doctrines, et leurs résultats sur l’espace urbain, et cela dans le contexte historique matérielle et idéologique de la construction des comptoirs et des villes de la côte sénégalaise. L’hypothèse de l’auteur est que dès le XVIIe siècle s’élabore un savoir-faire spécifique qui a pu influer sur les pratiques des colonisateurs, à la recherche de méthodes pour s’établir au-delà de la métropole, et qui s’est perpétuée dans les villes coloniales fondées au XIXe siècle. Concernant les comptoirs, il fait référence aux établissements français d’Afrique Noire de la moitié du siècle XVII à la moitié du XIX. Par rapport aux villes, l’histoire tracé par l’auteur commence vers 1850 avec la conquête territoriale des côtes sénégalaises et s’arrête en 1931 avec l’exposition coloniale de Paris, qui coïncide avec l’apothéose du projet colonial français et le début de sa remise en cause. Les observations de Sinou s’articulent autour de trois axes : les plans d’urbanisme, l’habitation et le contexte juridique et théorique qui les accompagne, notamment au sujet de l’hygiène et la propriété foncière.
B. Points de raisonnement
L’auteur rappelle aux lecteurs que tous les comptoirs établis depuis le XVI siècle sur les côtes africaines présentent des nombreuses similitudes. Il centre son analyse, comme je l’ai précisé plus haut, en deux cas : Saint-Louis et Gorée, le premier étant inhabité avant l’arrivée des français et le deuxième implanté dans un comptoir déjà peuplé. Le principal commerce que les français y déroulaient c’était le commerce des esclaves. Or, quand il a été interdit en 1807, les commerçants de Saint-Louis ont développé une autre activité de traite : la gomme arabique. Gorée, de son côté, a perdu sa raison d’être, jusqu’à ce qu’en 1940 ont eu lieu les premières livraisons d’arachides vers l’Europe. La ville ne peut pas être conçue d’une façon isolée, elle est toujours liée au contexte rural. Ce principe est extensible au comptoir, et cela d’autant plus que son existence se base sur le commerce d’un produit provenant des alentours de l’établissement. Dans cette logique, je pense que Sinou néglige cette connexion avec l’extérieure qui nourri le comptoir. Comment les esclaves, la gomme et les arachides arrivaient jusqu’à Saint-Louis et Gorée ? Les français ont fait d’investissements relatifs à la communication terrestre, maritime ou fluviale ? La façon d’obtenir ces produits est un sujet intéressant aussi, mais qui s’échappe des réflexions autour de l’urbanisme. Les voies de communication, par contre, en sont un sujet central. Si, par exemple, au comptoir de Saint-Lous la présence d’habitat s’organisait autour du fort, aujourd’hui les villes et les villages africains s’articulent souvent en parallèle au goudron. Il serait fort intéressant de voir s’il y avait une croissance urbaine semblable autour des voies de communication au contexte abordé par Alain Sinou.
L’hygiénisme est un thème qui apparaît à plusieurs reprises dans le récit de l’ouvrage. Certes, Sinou rapporte que dans des nombreux récits issus à l’occasion de visites des européennes à Saint-Louis, le désordre social est associé au désordre spatial. Dans ce comptoir, dès 1795 les français adoptèrent des arrêtés visant à réglementer la propreté des rues et des habitations… Le très faible succès de ces arrêtés conduisit les autorités à concentrer plus tard leurs efforts sur les sites vierges où elles pouvaient imposer plus facilement quelques principes d’accès au sol. Le noir était vu comme le facteur diffuseur de maladies et des idées de libertinage aussi. Ceci dit, l’hygiénisme faisait partie des grands problèmes émergents dans le contexte urbain au XIXe siècle en Europe. Nonobstant, dans le livre il n’y a aucune référence à ces théories européennes telles que celles de Georges Eugène Haussmann.
L’auteur affirme dans ses conclusions que les villes coloniales du Sénégal ne se développent pas sur un no man’s land, mais en lisant le livre on n’a pas cette impression. Effectivement, il y a une manque d’explication de la présence de la population locale avant l’arrivée des français ainsi que de sa forme d’habiter. Le sujet est traité d’une façon presque anecdotique dans le livre, et manque d’un dialogue avec la présence de la population dans le contexte spatiale analysé et avec les courants idéologiques de la métropole.
C. Conclusion
Le travail d’Alain Sinou montre d’une minutie exceptionnelle en ce qui concerne les données relatives à l’implantation des français dans des comptoirs et villes du Sénégal. Les trois cas qu’il présente peuvent s’extrapoler à d’autres colonies de l’Afrique Occidental et même d’ailleurs. Malgré cela, le dialogue avec le focus central de l’idéologie base de l’urbanisme implanté dans ces comptoirs et villes sénégalaises est inexistant. Un positionnement complémentaire aux idées de Sinou est celui d’Odile Goerg, qui parle directement de villes européennes d’outre-mer pour faire référence aux villes planifiés par la métropole pendant la colonisation. Avec cette appellation Goerg souligne l’empreinte du modèle de la métropole et, en même temps, l’adaptation au contexte. En parlant du contexte, Sinou ignore par complet l’existence des villes africaines précoloniales, un positionnement à mon avis risqué car il peut entraîner la fausse idée selon laquelle avant l’arrivée des colonisateurs il n’existait pas la notion de ville au continent africain.
Bibliographie
Blache, Jules (1967) “Le trafic au Sénégal à la fin du XVIIIe siècle”. Revue de géographie alpine. Vol 55, num 3, pp 469-490.
Charvet, Marie (2005) Les fortificacions de Paris: de l’hygienisme à l’urbanisme: 1880-1919. Rennes: Presse Universitaires de Rennes.
Frémaux, Céline (2007) “Santé et higiénisme dans les villes du canal de Suez. Fin 19e siècle - 1ère moitié du 20e siècle”. Figures de la santé en Egypte, pp 75-101.
Goerg, Odile (2006) « La ville européenne d’outre mer : sens, devenir et mutations » pp 26-37 in Architecture coloniale et patrimoine : les expériences européennes, Bernard Toulier et Marc Pabois (eds). Somogy/Institut National du Patrimoine.
Heurteux, Claude et Moncan, Patrice de (2002) Le Paris de Haussmann. Paris: Le Mécène Eds.
Comptoirs et villes coloniales du Sénégal
Alain Sinou
L’auteur de cet ouvrage publié en 1993 cherche à combler un manque de documentation concernant l’urbanisation des comptoirs et villes coloniales. Il apparaît que cet aspect de l’Histoire coloniale a bien moins été étudié que lors de la colonisation de l’Amérique du Sud par les espagnols dès le XVIème siècle. Ainsi, Alain Sinou propose une analyse d’une part de l’Histoire allant du XIXème siècle au début du XXème. Comme l’indique le titre du livre, l’analyse se décompose en deux phases. Les comptoirs initialement implantés vont permettre d’étendre la planification urbaine aux villes. De cette façon, une logique d’un point de vue chronologique est bien suivie. L’étude se concentre sur Saint-Louis, Gorée et Dakar.
Nous allons concentrer notre étude sur trois axes principaux. Le premier concernera l’aménagement du territoire, le second portera sur la question de l’hygiène et le dernier mettra en évidence l’importance du droit et de l’Etat dans l’administration d’une ville.
I- L’aménagement du territoire
Alors que la traite des esclaves battait son plein et qu’un commerce maritime commençait à se développer sur les côtes africaines, les puissances coloniales ont cherché à implanter des zones qui répondraient à leur autorité. Les comptoirs étaient concurrents et leur population évoluait en fonction des bateaux qui s’y arrêtaient. Un contingent d’européens était amené à s’installer sur la côte pour représenter la compagnie pour laquelle ils travaillaient. Ces derniers étaient rejoints par des populations locales qui cherchaient à tirer profit de la traite de l’esclavage. Ainsi, tout un commerce ce mettait en place autour de ces européens envoyés depuis la métropole.
Rapidement, face à la concurrence et afin de représenter la couronne les comptoirs ont dû établir des bâtiments plus durables que les cases locales. Face aux menaces représentées par les autres puissances coloniales et les maures, des forts ont été érigés. Cependant, les ressources locales et le climat n’ont pas permis de donner naissance à des édifices tels que nous les connaissons. Certains d’entre eux disposaient de remparts et terre ce qui s’avérait peu efficace face aux canons des bateaux. Le but de ces forts était de protéger les marchandises.
Très rapidement, une organisation ségrégationniste vit le jour. Les européens occupaient le fort et la vie locale s’organisait en périphérie. Cependant, les conditions climatiques poussèrent les européens à adopter un style de vie plus proche des autochtones. Un fort métissage eut alors lieu. Les conditions favorisant, les incendies, la propagation des maladies, il apparaissait nécessaire d’organiser l’espace alors que la théorie des chiasmes prenait de l’importance.
De ce fait, les premiers plans virent le jour. Pourtant, ces derniers n’étaient pas représentatifs de la réalité. Effectivement, ils représentaient la vision d’un comptoir idéalisé permettant de mettre en avance la puissance des métropoles. La situation sur place, choquant les européens de passage, les premiers projets d’urbanisation virent le jour. Ainsi, un schéma ressemblant à celui des lotissements fut mis en place car les cases ne respectaient aucunement un schéma organisé. La nécessité de renforcer l’emprise du fort sur les villes fut bien souvent mise en avant. Le fait est que les décisions ne parvenaient pas à s’imposer aux populations.
Ainsi, dans un premier temps, les compagnies décidèrent de renforcer les infrastructures du fort. Les militaires sur place devaient représenter la puissance de la couronne. Les bâtiments officiels furent de plus en plus nombreux, les églises et écoles émergèrent également. Une fois ces organismes fixés, il a été possible d’organiser les rues afin de laisser circuler le vent mais également de gérer les ressources en eau et les déchets. Les quartiers furent définis afin de séparer les européens, les métisses et les populations noires. Ceci servit d’exemple pour les villes coloniales.
II- Les liens avec l’hygiène
Les fortes chaleurs, la saison des pluies permettant aux maladies de se propager, il parut nécessaire de mettre en place des procédés pour limiter les épidémies. Initialement, les européens croyaient que les terres d’Afriques, en dehors du droit divin, étaient maudites. Rapidement, ils durent se rendre à l’évidence et ils constatèrent alors que les conditions de vie étaient source de propagation.
Pour avoir accès à de l’eau douce, parfois les habitations étaient équipées de citernes enterrées. L’eau stagnante était alors un refuge idéal pour les moustiques qui propageaient le paludisme. Les autorités décidèrent de limiter le nombre de ces citernes. La rivière fut aussi source d’évacuation des déchets. Parmi les mesures prises, il fut demandé aux habitants de ne plus faire leurs besoins sur les berges des rivières mais de les faire dedans. Les déchets devaient également être lancés le plus loin possible dans le lit de la rivière. Bien que cela puisse paraître choquant aujourd’hui, à l’époque cela a permis de conserver des rues plus propres.
Il fut mis en évidence que l’air devait circuler pour éviter une stagnation des germes. Cela justifie en partie l’aménagement géométrique des rues. Des hôpitaux furent construits. Ils étaient divisés par types de maladies rencontrées. Cependant, ces lieux étaient plutôt dédiés à l’isolement des malades. Compte tenu des frais engagés par la métropole, ils étaient réservés aux européens.
Un nouveau mouvement vit le jour. Il était celui des médecins des villes qui étaient en fait des urbanistes préoccupés uniquement par les questions d’hygiène. Il faut garder à l’esprit qu’au départ l’existence des micro-organismes n’avait pas encore été mise en évidence et les théories n’étaient pas aussi abouties qu’actuellement.
III- L’importance du droit administratif
L’auteur met en évidence que tant que la métropole n’avait pas encrée son pouvoir, il était impensable de faire appliquer quelconques règles aux habitants. La mise en place d’un cadastre devait permettre de déplacer certains habitants afin de mettre en œuvre la planification urbaine. Ces derniers, ne voyaient pas l’intérêt de disposer d’un titre de propriété donc cela été difficile à mettre en œuvre.
Outre un renforcement de la présence et des installations militaires, des tribunaux furent établis. Le gouverneur vit son habitation s’embourgeoiser afin d’asseoir son importance et celle de l’Etat. Cette démarche met en évidence qu’aucune planification n’est possible à mettre en place si l’Etat n’est pas suffisamment fort.
Les plans qui préfiguraient des intentions des gouverneurs, ont pu petit à petit être mis à exécution pour finalement devenir effectifs. Les écoles ont permis de convertir les populations locales aux pensées européennes notamment avec l’instruction de la religion. Ainsi, bien que le processus fut long, les plus jeunes générations prenaient davantage conscience de la nécessité d’obéir à la métropole.
Cette mise en place du pouvoir nécessaire au développement urbain fut poursuivie tout au long du développement des comptoirs puis des villes. Il est à noter que les zones « indigènes » étaient nettement moins légiférées. Ainsi, les villes étaient à deux vitesses.
Clairement le système des villes coloniales profondément inégalitaires a poussé les populations locales à s’interroger sur les bienfaits de ce que cherchait à imposer la métropole. A défaut l’accord des populations, la démonstration de force de la métropole a mené à l’imposition des règles.
Cette analyse de Monsieur Sinou permet de mettre en évidence les disfonctionnement des comptoirs et villes coloniales. Si les problématiques de droit et d’hygiène semblent toujours être valables, il apparait que l’aménagement urbain doit s’écarter de ce qui a été étudié.
En effet, si la ville coloniale était raciste, il serait possible de faire un parallèle avec la situation actuelle de certaines villes. La ségrégation n’a plus lieu pour des raisons d’origines mais pour des raisons de moyens. Les villes africaines issues de villes coloniales doivent donc essayer de gommer la ségrégation spatiale qui subsiste dans certains cas. Ceci doit être réalisé tout en considérant la gestion de l’eau et des déchets.
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%A Sinou, Alain
%D 1993
%E et ORSTOM, Editions KARTHALA
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DU SÉNÉGAL