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Comprendre autrement la ville africaine

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(2007)

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  • @edsonble225

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  • @edsonble225
    10 years ago
    Introduction Entre la création de villes étrangères aux populations locales, et l’engouement actuel des sociétés africaines, que de chemin parcouru dans l'apprentissage de la ville! De matière schématique, plusieurs phases peuvent être repérées dans ce processus progressif mais néanmoins étonnement rapide de réappropriation de la ville. Par exemple dans la partie centrale et méridionale du continent, il y eut la phase des" villages de liberté "- qui donnaient un asile aux esclaves liM res - et plus généralement de la venue en ville des seules populations qui, pour des raisons diverses, ne pouvaient pas retourner dans leurs villages d'origine. Il y eut celle des camps de travailleurs, hommes jeunes venant sans leurs familles, pour la durée de leurs contrats de travail. II y eut le temps de la constitution de familles urbaines. /I y eut celui de I ‘exode rural massif qui maintenait des liens très forts avec le milieu rural et qui se poursuit aujourd'hui avec des taux légèrement déclinent. Certes, on pourrait faire à ce schéma de nombreuses critiques. 1. Ainsi, celui de l'oubli de l'urbanisation précoloniale : si peu de villes actuelles en sont les directes héritières, et si les conditions de I ‘urbanisation d'aujourd'hui sont profondément différentes de celles d'autrefois, elle n'est pas sans avoir joué un rôle dans la domestication de la ville contemporaine. L'adoption de la ville est désormais acquise, mais l’apprentissage d'un milieu perpétuellement mutant se poursuit, apprentissage de la promiscuité, de la survie, de la multi-culturalité, de la régulation ou de la non¬régulation des conflits. Une véritable invention, à la fois sur le long terme et dans le quotidien ! 2. Mais peut-on dire que la ville" s'invente " ? Que peut apporter cette notion, par rapport au simple " changement " ? Récemment presque coup sur coup, deux ouvrages sont venus illustrer un concept peu usité dans la recherche française. Le premier (Agier, 1999), œuvre d'un anthropologue, Observe à travers des terrains variés l'émergence, aux niveaux microscopique et " intermédiaire " d'une culture urbaine des pauvres qui résiste aux fragmentations, aux stigmates, aux pouvoirs dominateurs, à la non-ville. Le second (Chalas, 2000), œuvre d'un sociologue-urbaniste, cherche la réponse que la société peut apporter, via l'urbaniste, aux représentations et pratiques mutantes des citadins des périphéries françaises; il a trouvé dans la " pensée faible en urbanisme " qui, plus complexe et moins constitue en doctrine, ne prend consistance que dans le processus de concertation. L'idée commune à ces deux ouvrages est la reconnaissance d'un changement incessant, complexe, peu maîtrisé, dans lequel les citadins sont acteurs, et ce malgré l'écheveau de contraintes et à travers elles ; malgré aussi l'uniformité mondiale de la ville" générique " (M. Agier) ou " primordiale " (Y Chalas).Même si chacun de ces livres n'explore que quelques-unes des pistes contenues dans une telle affirmation, l'invention recouvre donc une problématique d'articulations dans un monde complexe. C'est cette problématique que le présent article voudrait aborder grâce à des travaux récents, Une tentative de définition donnera... deux définitions, dont la richesse sera combinatoire. Puis sera tenté un débroussaillage de ce qui s'invente dans la ville subsaharienne. Enfin, quelques pistes de recherches soient proposées, 3. Une première définition donne I ‘invention comme " l'art de produire par ses propres moyens un élément, un objet ou un processus original" ou comme" l'art de produire ou de créer en utilisant son imagination" (Moles, 1996). Une deuxième lui répond mieux connue des historiens, en écho à l’invention" des reliques qui, au Moyen Age, fondaient la notoriété d'un lieu et la fréquentation d'un pèlerinage. II s'agit d'une opération intellectuelle tendant à rendre compte de façon novatrice d'une réalité pour agir dessus, et développée soit pour organiser le futur soit pour légitimer le passé?". Entre création d'une forme nouvelle et nouvelle conceptualisation d'une réalité, l'idée forte à souligner est la tension entre matériel et idéal, potentiellement créateurs l'un de l'autre. Les deux définitions ne prennent toute leur richesse que dans l'association. Un exemple caractéristique de ce lien fondamental entre matériel et idéal réside dans le langage, la démarche de dénomination tendant à traduire en termes intelligibles une réalité perçue, Or, il se trouve que le mot" ville" est rarement présent dans les langues africaines. Le sango, langue véhiculaire de la République centrafricaine utilise l’expression" kota kodro ", ou " grand village ", le wolof des composes de " deuk ", la " localité ". Si le swahili dispose d'un mot, sans doute faut-il y voir l'expression d'une véritable civilisation urbaine, nourrie par les contacts avec les Arabes et avant muri sur le temps long. Ces exemples illustrent la difficulté de formaliser le concept de " ville ", objet multiforme et difficilement maitrisable, alors que les mêmes langues font preuve d'une imagination débordante pour donner un nom aux choses de la vie moderne. Certes, quand le mot n'existe pas, il est emprunté d'une langue européenne, Mais il faut se demander ce que recouvre réellement son usage et se métier des" prêts-a-nommer ", qui ne correspondent jamais qu’à une réalité parmi d'autres (Tall, 2000), par exemple politique. En utilisant le mot français pour designer certaines localités et non pas d'autres parfois beaucoup plus peuplées, les pouvoirs du Sénégal ou de la RD. Congo expriment une représentation et un projet politiques : la "ville" est alors une localité suffisamment distanciée des pouvoirs concurrents de celui de l'Etat pour que l'administration puisse s'implanter pleinement. 4. II ne s'agirait pourtant pas de lier mécaniquement changement matériel et changement dans l'ordre des idées. En République centrafricaine, la notionde quartier (kodro) reste mal dégagée de celle de village (kodro)(Piermay, 1981). Chacun trouve son unité en la personne de son chef et dans les relations que chaque habitant entretient avec celui-ci. l'unité n'est pas territoriale, elle est sociale, les membres du kodro pouvant être metes dans l'espace avec ceux des autres kodro. Pourtant, de manière insidieuse, le kodro-quartier s'est différencié avec le temps du kodro-village, sans que, au moins dans un premier temps, on ait songé à utiliser un autre mot. Les réalités sociales, en effet, ne sont pas les mêmes dans une entité politique de petite taille clairement identifiée et dans une autre entité politique ayant connu une forte croissance au sein d'un ensemble urbain peu différencié. Dans le kodro-quartier, la structure politique devient vite inadaptée, source de confusions, de désorganisations, de chaos. Mais le changement de mot est une autre affaire. Du vécu des citadins, ne pourrait naitre que la désuétude, non la reconstruction. Lei, le changement de mot ne peut exprimer qu'une volonté politique, amorcé d'une véritable révolution intellectuelle et politique, comme celle qui conduisit à changer le nom de Sakwanga (ethnonyme) en I\IIbuji-Mayi (hydronyme) (1962), en même temps que le pouvoir passait des coutumiers à l'Etat et que la localité devenait " ville ", au sens de celui-ci (Piermay,1993). Mais le politique percole à travers toute la société. Dans cette ville à la croissance très rapide - facteur de lisibilité des évolutions -, coexistent plusieurs strates de mots qui recouvrent des visions distinctes de la réalité, expressions de représentations et d'intérêts différents, Les " terrain ", " parcelle " et " titre foncier " relevaient respectivement des logiques spécifiques des autochtones, allochtones et commerçants, et avaient leurs correspondants dans d'autres domaines avec les " village ". " quartier " et " avenue ", ou avec les " chef coutumier", " chef de quartier " et" " Notable" (Piermay, 2000). Les mots ne correspondent pas seulement à des objets, mais à des projets, notamment politiques, en tout cas de société. Entre le matériel et l'idéal, il y a donc une articulation complexe. On est bien dans le domaine de la complexité, qui nécessite de prendre en compte des articulations multiples. Trois de celles-ci méritent d'être plus particulièrement soulignées, La première est la prise en compte d'acteurs multiple, Or, on sait bien qu'un acteur n'est jamais Identifiable seulement en lui-même, mais relativement aux autres, dans un contexte donné
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