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MANGER EN VILLE Regards socio-anthropologiques d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie

(Eds.)
(2020)

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  • anonymous
    3 years ago (last updated 3 years ago)
    Manger en ville, regards socio-anthropologiques d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie En septembre 2020 a lieu le symposium « Manger en Ville » qui donne largement la parole à des chercheurs et chercheurs des trois continents, Afrique, Amérique Latine et Asie, sur les questions de l’alimentation. Le point de vue des mangeurs urbains et leurs pratiques alimentaires sont mis à l’honneur ; l’ouvrage présent est issu des discussions ouvertes et des idées qui en sont ressorties. Trois grandes problématiques en sont ressorties : la confrontation des citadins aux normes, le lien réciproque entre alimentation et paysages urbain, façonnés l’un par l’autre, et l’innovation et créativité des mangeurs. Chaque grand thème s’intéresse à plusieurs villes des trois continents (Jakarta, Oran, Mexico…). Les trois points que j’ai choisi de développer ont respectivement été rédigés par plusieurs auteurs. La première, Hayat Zirari est spécialiste de l’anthropologie du genre au Maghreb. Yolande Berton-Ofouémé, professeure de géographie, a développé plusieurs thèses sur le Congo. Enfin, le troisième point est une co-écriture de N’Da Amenan Gisèle Sédia et ses collègues, Amoin Georgette Konan et Francis Akindès. I. Casablanca : l’urbain marocain à la source d’une reconfiguration de l’alimentation et des normes de genre Casablanca est très intéressante sur le plan urbain et sociologique car elle offre une mixité sociale qui permet d’appréhender et de comprendre les mutations en cours dans la société urbaine marocaine. L’urbanité aurait fait émerger des nouveaux modes et de nouveaux espaces de consommation ; ce qui participe à une transformation des rôles respectifs des hommes et des femmes au sein du foyer et au sein de l’espace public. La question des rapports à la nourriture en milieu urbain s’entremêle avec questions des rapports de genre dans les villes maghrébines où la femme semble s’apparenter à la mère nourricière et où la division sexuelle des rôles est très importante. La reconfiguration des pratiques et des rythmes alimentaires est d’abord le fait des mobilités en agglomération urbaine : la distance croissante en le domicile et le lieu de travail s’accompagnent d’un changement des habitudes alimentaires. Parmi elles, manger dehors, comme dans les mahlaba par exemple (économiquement et géographiquement accessibles, ce sont des sortes des vendeurs de jus de fruits et de snacks). Des représentations sociales sont attachées au fait de manger dehors : l’homme qui se rendrait souvent au snack serait soit célibataire soit un homme dont la femme ne remplit pas son rôle d’épouse. De même, une différence sociologique se dessine entre la makla dial dar (nourriture qui est préparée à la maison) et makla dial zanka (nourriture achetée dans la rue). Selon les femmes interviewées, l’espace public devient un espace de liberté : cette dernière façon de manger est un moyen de s’affranchir des normes de l’alimentation et est une rupture avec le cycle de l’activité domestique. Les sociabilités urbaines sont en grande partie alimentaires : les familles, même les plus défavorisées, vont au restaurant en fin de semaine et le couscous du vendredi se fait pendant le week-end, le plus souvent par l’un des parents des époux. Les comportements alimentaires s’adaptent au mode de vie urbain des casablancais. Le réseau familial, constituée des personnes âgées, devient aussi un moyen pour les femmes qui travaillent de « sous-traiter » cette tâche, devenue extra-domestique. L’auteur cherche à prouver que des dynamiques discrètes mais importantes sont à l’œuvre derrière l’urbanité, notamment en ce qui concerne l’affranchissement des femmes dans la vie familiale. En pratique, et dans l’urbain marocain, est-ce vraiment le cas ? Les mobilités des personnes et des moyens de communication en ville ont en effet favorisé des changements dans le rôle donné aux femmes dans la sphère publique et privé. L’armature urbaine au Maroc est cependant déséquilibrée, dominé par Casablanca, « capitale économique » ; les dynamiques visibles ici ne le sont pas forcément dans les autres villes intermédiaires. Casablanca bénéficie en effet d’avantages du fait de son statut de « ville » : un développement économique plus poussé, des activités financières, des industries technologiques et services supérieurs… les meilleures universités se trouvent à Casablanca, ce qui favorise l’accès aux études pour les femmes, et les pousse plus facilement vers le monde de l’emploi. De plus, le modèle de l’organisation familiale au Maroc, et dans les pays maghrébins plus généralement, reste rigide. La femme doit obéissance à l’homme, qu’il soit son père, son frère ou son mari et ses comportements sont régis par le code de la pudeur (hchouma). Surtout, l’affrontement entre « islamistes » qui rapportent la question des genres à la religion et les « modernistes » qui en font un objet de droit, pose encore problème dans une société en majorité musulmane. II. Brazzaville : quand la ville réinvente l’alimentation Brazzaville, capitale de la république du Congo, se caractérise par son cosmopolitisme. Le brassage des populations a inévitablement résulté en un brassage culinaire : les habitants inventent une nouvelle cuisine, un mélange de nourriture locale et de nourriture importée par le canal des migrations, qu’il soit domestique ou régional (au Congo, les migrants sont surtout des Africains de l’Ouest, du Mali, de la Guinée ou du Bénin). L’alimentation s’est mondialisée tout en se singularisant. Surtout, l’auteur indique qu’elle est révélatrice des classes sociales bien distinctes des consommateurs, et par conséquent de fissures socio-économiques et spatiales. Les nouvelles pratiques culinaires s’introduisent le plus souvent par la restauration. La cuisine importée, celle que l’on trouve dans le centre-ville et quartiers péricentraux de Brazzaville, vient d’origines géographiques diverses : on trouve aussi bien des plats asiatiques, qu’européens, que du poulet tandoori du Pakistan, que des pizzerias. Ces restaurants et leurs services de vente à emporter sont surtout l’apanage des consommateurs les plus favorisés, c’est-à-dire des classes moyennes et élevées. Ces dernières années, c’est la cuisine de rue qui a connu un essor spatial et un renouveau culinaire, impactant le paysage brazzavillois. Les mets locaux sont désormais mélangés à ceux importés, et les brazzavillois consomment désormais les aliments crus (alors que la culture congolaise favorisait la cuisson des aliments). Ces choix alimentaires permettent aux citadins des classes défavorisées de s’alimenter à moindre coût tout en étant rassasié. Ce qu’on appelle le « tapis rouge » (peau de porc braisée) en est un exemple. Les grilleurs vendent des morceaux à des prix abordables, à partir de 50 francs CFA (ce qui équivaut à 0,08€). Absent de l’alimentation il y a 25 ans, c’est un met typiquement urbain qui marque l’adaptation de la nourriture aux difficultés économiques et aux contraintes liées aux rapides mutations urbaines et démographiques. Ce mélange efface aussi le clivage traditionnel qui existe entre deux types de cuisine au sein de la ville, celle traditionnelle et celle moderne. Les deux tendances coexistent pour créer une alimentation spécifique multiculturelle. Au-delà des flux migratoires et de leur apport culinaire extérieur mis en valeur par l’auteur, c’est surtout l’économie populaire urbaine qui invente de nouvelles cuisines, loin du poids des grands acteurs économiques de l’alimentaire. Cela rompt en quelque sorte avec le mimétisme de l’Occident sur les pays en développement, et plus particulièrement dans les anciennes puissances coloniales, comme la république du Congo. La réinvention de la nourriture s’éloigne aussi des idées types sur la ville, comme creuset de la consommation marchande, de la globalisation et de terreau de la junk-food. III. À Abidjan et dans les villes ivoiriennes, l’alimentation à l’encontre des normes nutritionnelles et hygiéniques Le garba est un plat constitutif de l’urbanité alimentaire ivoirienne. Autour de ce plat se sont condensés des enjeux économiques, sociaux et alimentaires ; plus précisément, comment ce met souvent qualifié de « malbouffe » est-il devenu un référence alimentaire ivoirienne ? Ce qui n’est pas dit explicitement, c’est que ce garba est aussi à l’origine du taux d’obésité croissant et est représentatif de l’asymétrie d’informations diététiques dans les classes populaires. Ce qui a commencé comme une demande ponctuelle de nourriture sur le tas pour des consommateurs à faible pouvoir d’achat est devenue un plat incontournable de la restauration ivoirienne. Il est fait à base d’attiéké (une des bases du repas, c’est un plat fait de semoule de manioc) et de thon salé frit arrosé d’huile de friture, des produits base de l’alimentation. Néanmoins, la préparation comme la vente du plat sont risqués sur le plan sanitaire. Le poisson est « mouillé » dans l’huile de friture, et ce au moins 7 fois : cette pratique, du fait de l’oxydation de l’huile, pourrait avoir des effets cancérigènes. Le lieu même où il est vendu, le garbadrome, ne respecte pas les normes d’hygiène : le garbatigui utilise la même main pour faire l’encaissement de la monnaie et la cuisine (mettre le poissson dans la farine). Les risques sont aussi liés aux manières de table : le plat se mange à la main. À l’encontre de toutes les normes nutritionnelles, il se mange de façon presque transgressive, et ce dans toutes les sphères de la société. Vecteur de sociabilité, le garba se mange en groupe, le plus souvent entre amis, avec qui il n’existe pas de peur de manger de manière ridicule. L’espace du garbadrome devient un espace urbain informel où les mangeurs solitaires peuvent aussi parler avec les autres clients. Il est clair que l’acte de manger du garba est révélateur de l’absence de connaissances des risques inhérents par une certaine partie de la population. Si les classes aisées en mangent à quelques occasions, ceux plus démunis en consomment à forte dose : le plat est bon à manger consistant (il permet de remplir l’estomac pour la journée) et peu cher. Ce que l’auteur n’explique pas forcément, c’est que l’asymétrie de l’accès à l’information explique aussi les déséquilibres nutritionnels, et le taux d’obésité croissante dans les classes populaires. Le problème est largement ignoré dans les villes : le surpoids est signe de bonne santé. Selon une étude, 31.4% des femmes associent voient la prise de poids comme un aspect positif ; les personnes minces voire maigres étant souvent soupçonnés d’avoir le VIH. Les ménages aisés, eux, favorisent une alimentation équilibrée et plus variée. Ainsi, l’ouvrage aborde trois points discutables. La nourriture serait un moyen de s’affranchir de certaines normes de genre, comme c’est le cas pour les femmes à Casablanca ; cela reste sans doute des dynamiques très minoritaires à l’œuvre, qui se confrontent aux réalités sociales du pays. À Brazzaville, les migrations auraient participé à l’avènement d’une cuisine multiculturelle, mais cette cuisine s’est surtout faite par « le bas », c’est-à-dire par les couches plus populaires de la ville, qui réinventent et réadaptent leur alimentation en fonction des contextes économiques volatiles qu’ils subissent. Enfin, en Côte d’Ivoire, l’alimentation utilitaire transgresse les normes d’hygiène, et ce par mauvaise connaissance des conseils des nutritionnistes pour les classes moins aisées. L’ouvrage est très complet du point de vue de l’individu, du mangeur ; abordant néanmoins mois les inégalités d’accès à l’alimentation des citadins des grands villes des pays du Sud et les conséquences inhérentes. Il pourrait être intéressant de creuser cette approche, notamment via le symposium international de 2017 sur « manger en ville, les styles alimentaires en Afrique, Asie et Amérique Latine », animée par les mêmes chercheurs (cf. bibliographie) Bibliographie https://books.openedition.org/cjb/1041?lang=fr http://lead.univ-tln.fr/fichiers/2007-2.pdf https://www.umontpellier.fr/articles/dabidjan-a-djakarta-comment-la-ville-reinvente-nos-repas https://www.revmed.ch/RMS/2014/RMS-N-423/Comprendre-l-obesite-en-Afrique-poids-du-developpement-et-des-representations https://www.chaireunesco-adm.com/IMG/pdf/dossier_complet2-3.pdf
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