@lakostephane

Comprendre autrement la ville africaine

. urban knowledge cities of the south. Network Association of European researchers on urbanization in the south, (November 2010)

Abstract

Dans le champ de l’urbanisation africaine, ces deux dernières décennies ont été marquées par des recherches abondantes avec des conclusions très remarquables. Les auteurs se sont accordés sur la « crise de l’urbanisation » africaine. Ils qualifient  les villes africaines de « villes éparpillées », « villes anarchiques », « villes rurales », « bidonvillisées » et « disloquées ». Ces analyses d’une pertinence certaine pèchent pourtant par leur vision catastrophiste et globalisante. Une approche microsociologique et constructiviste montre qu’on peut aussi bien « apprendre de la ville africaine ». En réalité, de véritables processus urbains sont aujourd’hui en construction dans les espaces urbains africains. La ville africaine ne saurait plus être analysée seulement comme « ville disloquée », sans avenir, mais il y a lieu de l’observer aussi comme véritable « laboratoire » des dynamiques urbaines. Ce qui se donne à voir aujourd’hui, c’est une Afrique urbaine dans une période de transition où l’on doit être attentif face aux lieux d’initiatives ou face aux différents champs sociaux où se construisent les nouveaux modes de vie, les dynamiques imprévues, annonciatrices des ruptures politiques, sociales et économiques. Cette communication entend faire une revue sociocritique des conclusions formulées autour des villes africaines pour montrer -à partir des observations directes faites à Douala, Yaoundé, Libreville, Brazzaville, Dakar, Abidjan et Nairobi- qu’une urbanité africaine se construit et s’invente au quotidien (dans divers secteurs) sous la grande impulsion individuelle/ collective des acteurs « du bas ».

Description

La lecture de la ville est une activité généralement dédiée aux sociologues qui s’intéressent aux dynamiques et aux évolutions des phénomènes et des faits sociaux. Pour les villes africaines, les écarts constatés depuis des décennies entre la structure et la dynamique de ces villes comparées aux villes européennes ou américaines ont suscité de nombreuses réflexions pour en comprendre l’essence et l’évolution. C’est dans ce sillage que Yves Bertrand Djouda Feudjio, Maitre de conférence, chercheur en microsociologie et enseignant de sociologie à l’Université de Yaoundé 1 au Cameroun a initié une réflexion particulière sur la façon de lire et comprendre les villes africaines basé sur la microsociologie. Le champ de la microsociologie focalise l’attention sur les menus faits de la vie quotidienne, il prend le futile, la banalité au sérieux et analyse les phénomènes à leur échelle réduite. C’est une approche qui peut être très prometteuse dans la lecture du quotidien des villes africaines. Suivant cette clé de lecture, il développe ainsi l’ouvrage intitulé « Comprendre autrement la ville africaine », qui s’appuie sur des observations directes faites dans les villes de Douala, Yaoundé, Libreville, Brazzaville, Dakar, Abidjan et Nairobi. Les analyses faites par la plupart d’auteurs font globalement état d’une ville africaine chaotique ou inexistante. Ces conclusions établies sur la base des grilles théoriques et méthodologiques exogènes et peu opérationnelles (en contexte africain) ne rendent pas totalement compte de la réalité urbaine africaine. En effet, les villes africaines se présentent comme de véritables lieux de compétition, de construction des identités sociales, religieuses ou politiques. L’analyse microsociologique présente cette spécificité d’apprendre non pas spécifiquement sur les villes comme dans les travaux de la plupart des auteurs, mais surtout sur les citadins en tant qu’acteurs sociaux, doués d’une grande capacité intuitive et imaginative. Cette nouvelle façon de lire la ville présente ainsi l’intérêt de compléter les approches classiques, en éclaircissant les moteurs des dynamiques sociales observées qui ont une influence sur la spatialité et l’organisation des villes africaines ; les seuls aspects techniques n’étant pas les plus prépondérants dans la structuration de la ville. Les clichés des villes africaines présentés par nombres d’auteurs présentent très souvent principalement les aspects négatifs suivant : insécurité, pauvreté, anarchie et insalubrité (Chandon-Moêt, 1998 ; Jaglin, 2001 ; HOUSSAY-HOLZSCHUCH, 2002). Des éléments qui traduisent la « crise de l’urbanisation » africaine, avec des « villes éparpillées », « villes poubelles », « villes insalubres ou poussiéreuses », « villes fragmentées », « villes cruelles », «bidonvillisées », « disloquées » où des populations en provenance chaque jour des campagnes, font face à la grande pauvreté urbaine et inventent des réseaux et des pratiques illicites qui compromettent toute efficacité d’une réelle politique urbaine. On parle ainsi de la ruralisation des villes et des citadins. En effet, les regroupements ethniques et la réinvention des habitudes communautaires sont visibles dans les quartiers populeux et entraînent une recréation des « villages dans les villes. Cette dynamique que les planificateurs et les gestionnaires tentent, quelques fois, d’enrayer devrait plutôt être intégrées ; car elle fait partie du bagage culturelle des populations africaines et représente leur identité. Ainsi, les approches technicistes et globalistes gagneraient à approcher la conception de la ville africaine sous l’angle de l’adaptation aux réalités culturelles et anthropologiques existantes et/ou envisagées. La ville africaine est « duale ». Un dualisme qui se construit à trois niveaux : 1) entre ville « légale », celle qui relève des normes occidentales et qui participe à l’économie-monde, et ville « illégale », celle des quartiers de peuplement informels, et où se développe une économie de subsistance et de survie. 2) entre ville prédatrice et ville dépendante : on y observe une présence d’espaces et d’activités agricoles au cœur du tissu urbain, périmètres de cultures vivrières, jardins de case, etc. qui côtoient les jardins publics et espaces de détente 3) entre ville rurale et ville urbaine : des pratiques initialement réservée à l’espace rural sont importées dans les villes où elles prospèrent quelque fois. Cette dualité est la source de la mise en place de phénomènes sociaux dans les villes africaines qui sont particulièrement affectées par la crise des complexes politico-économiques, avec un accroissement des dislocations, des fragmentations, des ségrégations et des déségrégations que les dynamiques citadines « du bas » (ELA, 1998) ne parviennent plus à enrayer. C’est le cas de la médecine traditionnelle, le commerce des vivres frais à tous les carrefours, l’habitat sommaire, les pratiques d’approvisionnement en eau et d’assainissement, etc. L’ensemble de ces importations et ces innovations se retrouvent sur l’espace public. En effet, l’invention de la ville africaine se lit aussi dans les différents espaces communs que sont la rue, les gares routières ou les marchés. Ces espaces projetés depuis plusieurs décennies comme des lieux de production de la violence, du conflit et de l’insalubrité sont en réalité des espaces sociaux de convergence intensément vécus de cristallisation de valeurs diverses, d’activités, d’échanges, de circulation de biens et de socialité. Une réalité que l’on se retrouve dans les rues, dans les « maquis » d’Abidjan, de Douala, ou dans les marchés de Sandaga (Sénégal), Sandaga (Douala), Mokolo ou Mvogbi à Yaoundé. Le constat le plus partagé est la dimension plurielle des interactions construites par des acteurs aux origines sociales diverses. Ces espaces sont ouverts à une grande intégration donne à ces segments de la vile africaine une configuration particulière, qui doit être considérée dans sa planification. A côté du clivage traditionnel qui oppose les zones résidentielles des bidonvilles, les observations montrent que les logiques ethniques ou identitaires sont déterminantes dans l’occupation et l’appropriation des espaces territoriaux. Ceux-ci dans une certaine mesure, sont de véritables espaces socialisés ou identitaires où l’on observe une grande survivance des pratiques traditionnelles. Au Cameroun, et à Yaoundé particulièrement, on observe ainsi des quartiers à dominance ethnique Bamiléké (quartiers Carrière, Etoug-Ebé), Musulman (Briqueterie, Tsinga…)… Au-delà de ces singularités, la ville africaine présente également dans sa construction naturelle la mise en place d’espaces d’échange culturelle : les restaurants de rue appelés « tourne-dos » qui sont également des espaces publiques où se côtoie diverses catégories de citadins et divers background culturel. Ils traduisent la vie animée des rues africaines et contribue à l’harmonie sociale et contribuent à la socialisation urbaine. En outre, au même titre que les activités de moto taxis (« Zémidjan » au Bénin et « benskin » au Cameroun), ils rendent possibles de nouveaux liens sociaux. Au Cameroun, au Bénin ou au Nigéria, ces activités permettent à de millions de jeunes africains de construire leurs itinéraires sociaux et leurs repères de vie. Ceci interpelle le planificateur sur la nécessité d’intégrer les influences potentielles des comportements sociaux des groupes culturels vivant autour des centres urbains dans la conception de la ville et sa gestion. Conclusion En réalité, pour mieux comprendre les dynamiques sociales en cours dans le champ urbain africain et planifier une ville africaine qui soit fonctionnelle, il faut éviter de croire à une urbanisation uniforme ou unilinéaire de la planète. La ville africaine dans sa construction naturelle présente en effet de nombreuses dualités qu’il faudrait considérer. De même l’influence de la ruralité et la nécessité des espaces publics, espaces d’échange social et culturel devraient être pris en compte dans la conception et la lecture des villes africaines. Ainsi, loin de se substituer aux approches classiques de lecture de la ville africaine la micro-sociologie devrait être intégrée dans les approches d’analyse de la ville afin d’intégrer l’élément « citadins » et son influence sur la ville, son organisation et sa dynamique. Bibliographie B. Chandon-Moêt, « Le risque de la ville en Afrique » in Violences urbaines au Sud du Sahara, (Yaoundé, Cahier de l’UCAC, 1998), 7-19. Jean-Marc ELA, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique noire. Les défis du « monde d’en bas », (Paris L’Harmattan, 1998). M. HOUSSAY-HOLZSCHUCH, « Ségrégation, déségrégation, réségrégation dans les villes sud-africaines : le cas de Cape Town », in Bart, F. et al., Regards sur l’Afrique, (Union Géographique International/Comité National Français de Géographie/IRD, 2002), 31-38. S. JAGLIN, « Villes disloquées ? Ségrégation et fragmentation urbaine en Afrique australe » in Annales de géographie, 619, (2001) : 243-265 in Annales de géographie, 619, (2001) : 243-265.

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