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Inventer le patrimoine moderne dans les villes du Sud

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(2005)

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    11 years ago
    NOTE DE LECTURE INVENTER LE PATRIMOINE MODERNE DANS LES VILLES DU SUD Revue autrepart n°33 - 2005 Ce numéro de la revue de sciences sociales au Sud, autrepart, des éditions IRD chez Armand Colin, est un ouvrage collectif qui rassemble une sélection d’articles sur le patrimoine dans les villes en développement. Comme le suggère le titre, non sans ambigüités, il s’intéresse à la question du leg des périodes coloniales (entre le XIXe et le XXe siècle) sur des tissus urbains en constante évolution, dans un contexte mondial de préservation des différents biens patrimoniaux impulsé par l’UNESCO depuis les années 1980. Mais si la mise en valeur du patrimoine ancien au Sud suscite une adhésion quasi-unanime au nom du devoir de mémoire, les rapports entretenus par les communautés nationales avec le patrimoine urbain récent – qui fut essentiellement celui de l’administration et des demeures coloniales – sont naturellement beaucoup plus complexes, sinon totalement contradictoires avec la dynamique d’affirmation identitaire qui est née des nouveaux états indépendants. En effet, derrière ces « productions architecturales et urbanistiques » qui ont données aux villes du Sud une grande diversité des formes urbaines, subsiste une dimension immatérielle, de l’ordre de la transmission, qui relève du construit politique et social. D’où la notion d’« invention » qui suggère que le patrimoine n’a de sens que celui qu’on lui donne, et que cette signification peut être amené à évoluer en raison de multiples facteurs. L’espace colonial n’est d’ailleurs pas nécessairement fait patrimoine. Les cas d’étude traités dans ce livre proposent donc un panorama des différentes trajectoires de cette empreinte exogène caractéristique des villes du Sud, et témoignent que son acceptation patrimoniale est toujours sujette à débat. Etant donné la richesse des contributions qui sont apportées, le but de ce travail n’est pas de les reprendre une à une au risque d’en livré une version erronée ou incomplète, mais plutôt de nourrir la réflexion autour de cette thématique en mettant l’accent sur les grands questionnements qu’elle soulève. Tout d’abord, la diversité des situations illustre les paradoxes qui lient l’espace colonial à la notion de « modernité », un terme intimement associée à l’idéologie coloniale. On peut opposer l’utilité fonctionnelle de la ville coloniale à sa portée symbolique. Les composantes matérielles de cet espace servent notamment à des fins économiques à travers le développement touristique au sens large (accueil d’événements internationaux, activités de restauration et d’hôtellerie etc.). A. Sinou parle d’« identifications » positives ou négatives suscitées par l’objet patrimonial qui rendraient possible sa reconnaissance dès lors qu’une distanciation nécessaire avec le temps passé s’est établie. Or le rôle donné aux anciens bâtiments coloniaux perpétue bien souvent un espace urbain ségrégué auquel les habitants n’ont pas accès dans leur majorité, gardant la marque d’une présence extérieure dont ils ne tirent aucune ressource. Il importe aussi de remarquer que dans les villes ouest africaines nées de la colonisation, ces quartiers sont présentés d’un point de vue européen comme étant les centres historiques alors même que la réalité des pratiques habitantes vérifie rarement cette centralité. L’enjeu d’appropriation de ce patrimoine par les populations locales suppose donc de remettre en question une conception occidentalisée du patrimoine, centrée sur le bâti, dans des cultures où l’héritage se transmet traditionnellement par d’autres pratiques mémorielles qui peinent à être reconnues hors des frontières. De plus, les discours politiques de rejet du colonialisme tendant à occulter ce passé peuvent aussi alimenter un sentiment ambivalent à l’égard du mobilier colonial auquel les élites ont-elles-mêmes recours. Ces apports montrent l’importance des représentations associées au patrimoine. Dans les villes d’Afrique du nord et du Proche Orient, de tradition urbaine plus ancienne, la mise en patrimoine de l’espace urbain s’est élargie progressivement aux influences successives, y compris coloniales, qui n’ont pas eu d’effets si déculturants. Les mandats coloniaux ont certes profondément bouleversé la structuration piétonne des villes selon un référentiel arabo-musulman, mais les témoins physiques de cette ère restent ancrés dans l’espace présent, notamment par l’existence de hauts-lieux. G. El Kadi montre de plus, à travers l’exemple du Caire, que la prise de conscience s’est accentuée face aux risques de disparition des repères tangibles de la mémoire de cette nation, qui se sont matérialisés par le tremblement de terre de 1992. Un lien peut être fait avec le regain d’intérêt à l’égard du patrimoine syrien millénaire menacé voire parfois détruit par les événements actuels. Si ceci est sûrement une préoccupation lointaine pour les habitants d’un pays en proie à une guerre terrible, il y a fort à parier que le spectre d’une telle destruction réalimentera les opinions sur le sujet à l’issue du conflit. De même, dans les grandes villes vietnamiennes, un des auteurs montre que la marque des guerres successives ont contribué a relégué la colonisation au rang de souvenir secondaire, permettant une véritable « renaissance patrimoniale » face à l’appauvrissement de l’héritage culturel francophone. Ainsi, inventorier les biens coloniaux comme patrimoine national implique de les reconnaître comme ayant participé à la construction de ces nations . Il apparaît que la rupture entre le temps passé et le temps présent ne soit pas réellement consommée pour une majeure partie de la population africaine qui voit dans la mondialisation des échanges une continuité dans sa mise à l’écart. Le traitement du patrimoine colonial dépend en somme beaucoup des conditions dans lesquels il a existé : ici, par la violence de la négation des droits et des traditions autochtones qui empêche, en retour, et à quelques exceptions près, sa remobilisation. Bien souvent, il prend plus d’importance à travers le regard du touriste que celui de la population locale parce qu’il demeure encore associé à une fonction et à des usages précis, généralement non perçues par un œil extérieur. La capacité à transformer les usages de ce patrimoine au profit de la société civile pour le figer de manière révolue semble donc être la clé, comme ce fut le cas en Europe avec l’ouverture au public des châteaux ayant appartenus à la noblesse, et qui incarnaient leur pouvoir d’oppression. Ce travail de mémoire requiert non seulement des pouvoirs politiques au Sud qu’ils soient en mesure de classer ce patrimoine, mais surtout que cela se traduise par la mise en place d’une politique de conservation là où on observe souvent dans la pratique un effet d’appel d’air aux réhabilitations privées. Il convient pour finir de mettre cette question patrimoniale en perspective avec la propension de la ville à se renouveler sur elle-même et à accéder à une « nouvelle modernité » qui lui confère un rayonnement et une singularité à l’échelle mondiale. On remarque à ce titre que la création de nouveaux espaces de modernité post-indépendances dans les villes africaines a une charge politique et symbolique lourde. Elle représente la volonté d’inscrire ces villes dans l’avenir sans pour autant incorporer – comme nous l’avons vu – toutes les traces de leurs passés, d’autant plus que l’aménagement de ces espaces neufs ne satisfait pas réellement au besoin prioritaire qui est de planifier une urbanisation débordante. Les grandes opérations d’urbanisme de ce type sont légions dans les villes d’Afrique subsaharienne. Mais je m’arrêterai plus en détail sur le cas révélateur de Singapour. Comme pour l’autre exemple asiatique abordé dans cette publication (Hanoi), la sensibilité pour le patrimoine n’a émergé que très récemment dans cette cité-Etat, riche de par sa position de plate-forme commerciale de premier ordre mais qui cherchait à diversifier son économie. Par le biais d’une politique de mise en tourisme très volontariste, le patrimoine de l’île est devenu l’un des principaux leviers d’investissements alors qu’il n’avait pas la moindre considération auparavant. Mais ce patrimoine « de façade » a fait l’objet d’une importante sélection qui a renforcé l’image et le statut de ville globale de Singapour, alors que son essence même a été altérée au service des intérêts touristiques, quitte a ce qu’il soit purement inventé. L’instrumentalisation de la mémoire singapourienne, qui s’habille de l’idéologie capitaliste occidentale tout en utilisant certaines valeurs originelles, a donc des marqueurs spatiaux qui eux-mêmes s’inscrivent dans un territoire intégralement domestiqué et planifié de manière on ne peut plus pragmatique. Cet exemple équivoque met l’accent sur le fait que la survalorisation du passé colonial, en l’occurrence britannique, au détriment d’un autre, le passé asiatique, effacé et démoli, n’est pas incompatible avec un discours de promotion du dit « patrimoine national ». Au contraire, il nous rappelle que ce dernier n’est pas neutre : la force publique y joue un rôle de facilitateur en mettant à disposition le patrimoine qu’elle recense. Ici plus encore qu’ailleurs, la priorité est clairement donnée à l’attraction des flux, les autorités négligeant largement l’intense spéculation immobilière qui en résulte et son impact sur les réalités sociales locales. En définitive, cette discussion interroge sur les points suivants : qui désigne le patrimoine, et à quelle(s) fin(s) ? Ces questions sont d’autant plus prégnantes dans les villes en développement, qu’elles sont soumises à de multiples enjeux contemporains. La simple notion de patrimoine est déjà porteuse d’un modèle inhérent qui comporte de nombreux biais. Ensuite, ce qui est fait patrimoine est un choix, adossé à des représentations, et donc support d’une construction identitaire. La culture étant entrée dans la sphère marchande mondialisée, ce patrimoine est également une ressource. Ce faisant, l’enjeu de sa maîtrise et de sa redistribution est posé. Celui des moyens et des volontés politiques aussi. L’ensemble des cas d’études de cette publication révèle une relative hétérogénéité dans l’appréhension de leurs héritages coloniaux. Le mérite de ce numéro réside justement dans l’ouverture de nouvelles perspectives en explorant un champ d’étude peu abordé par la recherche académique : celui du devenir de ces espaces et de leur contribution aux villes de demain. REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUE : EL KADI Galila, OUALLET Anne, COURET Dominique (dir.), 2005, Inventer le patrimoine moderne dans les villes du Sud, Revue autrepart n°33, Armand Colin.
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