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Marrakech patrimoine en péril

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(2002)

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  • @rmiliasmaa

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  • @rmiliasmaa
    10 years ago
    Introduction Selon les statistiques assemblées par l’ONU, la population urbaine serait, en 2008, devenue majoritaire. D’ici à 2050, elle pourrait atteindre 6,3 milliards d’individus, soit 70% des habitants de la planète et c’est 95% de la croissance urbaine qui serait absorbée dans les villes des pays en voie de developpement. Si cette urbanisation galopante peut représenter des avantages lorsqu’elle est bien gérée; dans les villes en voie de développement elle est génératrice de nombreux défis. Marrakech, capitale culturelle du Maroc, n’a pas échappé à ce phénomène. De 1989 à 2009 sa superficie est passée de 3200 ha à 23 000 ha. Dans son ouvrage intitulé « Marrakech, patrimoine en péril » datant de 2002, Mohammed El Faiz dresse un portrait alarmant des conséquences de la mauvaise gestion de l’urbanisation dans cette ville. Ce professeur d’histoire économique à l'université Cadi Ayyad de Marrakech mène depuis plusieurs années des recherches portant notamment sur la question de la préservation du patrimoine historique et environnemental. Selon lui, l’urbanisation chaotique qu’a subi la ville ces 20 dernières années et l’échec des politiques de planifications urbaines ont eu pour conséquences la dilapidation de son patrimoine culturel et environnemental ainsi que le développement incontrôlable de ses bidonvilles. La croissance de Marrakech pose un problème de régulation ou plutôt de carence de la régulation; la puissance publique n’est pas en mesure d’assurer l’équilibre général du développement; elle donne l’impression de courir derrière une croissance à forte connotation spéculative sans pouvoir la maitriser. Mohammed El Faiz parle de « gâchis urbanistique » et dénonce un modèle de gestion technocratique loin des besoin réels de la population. En effet, au lendemain du protectorat, l’Etat s’est engagé dans une politique de lotissements tous azimuts, aux dépends de la protection de la médina et de sa réserve foncière. Cela a donné lieu à une « multitude d’horreurs architecturales » et « d’aberrations urbanistiques » selon Mohamed El Faiz. Aujourd’hui et depuis 1996, la ville de Marrakech opère sans SDAU et sans documents de référence pour l’aménagement de la ville . On voit des quartiers industriels transformés en résidentiel, des industries qui s’implantent dans des sites qui ne leur sont pas dédiés, un foncier de plus en plus cher avec pour conséquence une classe moyenne mise à l’écart de tout programme de logement. Dans le quartier de Guéliz, autrefois occupé par de nombreuses villas et constructions pour la plupart de niveau R+ 2, le quartier voit depuis quelques années sa morphologie bouleversée par son passage en zone R+5. On assiste donc à une destruction massive de ces villas et constructions datant de l’époque du Protectorat, (destruction du marché de Guéliz datant du protectorat et considéré comme patrimoine historique) au profit d’immeubles de moyen et haut standing. En fait, la ville fonctionne à coup de dérogations pour tout ce qui est logement tout en créant des quartiers en dehors de toute logique de mixité sociale. Pour profiter de la demande croissante de logements, les promoteurs n’ont pas hésité à lotir les terrains de culture et les vergers. C’est ainsi qu’un mouvement irréversible a commencé à se dessiner à partir de la seconde guerre mondiale, aboutissant en quelques années de fièvre spéculative à la destruction systématique d’un bon nombre de jardins intra muros et contribuant ainsi à l’asphyxie de la médina. La constitution des premiers douars (bidonvilles) à l’ouest et à l’est et parfois loin de la médina, est un phénomène essentiel aux yeux de Mohammed El Faiz, parce qu’il témoigne de l’incapacité de la médina à accueillir dans de bonnes conditions tous ceux qui voudraient y habiter. Dans son ouvrage, M. EL Faiz dénonce un véritable « vandalisme patrimonial » subit par la ville de Marrakech pourtant classée « patrimoine universel de l’humanité » par l’Unesco. Jusqu’à l’avènement du protectorat, Marrakech est constituée en un tout complexe et hétérogène au sein de la médina (aujourd’hui quartier historique le plus préservé de la ville) selon l’organisation type des villes musulmanes. Les médinas ont su assurer durant des siècles un tissu social vivant et efficace, et ce en dépit de leur fermeture derrière des remparts érigés pour les protéger. Au lendemain de l’établissement du Protectorat français, les nouvelles autorités ont pris des mesures juridiques pour la protection de la médina et, bien entendu, de son enceinte fortifiée. Celles-ci ont même fait l’objet d’un arrêté spécifique de classement au titre des Monuments historiques dès 1914, suivi d’autres textes en 1921, 1922 et 1936. Des zones de servitude interdites à la construction ont été définies à l’intérieur des murailles (30 m) comme à l’extérieur (distance variable). Les remparts bénéficient également d’actions de restauration - voire de reconstruction lorsque des parties s’effondrent - et de nouvelles portes ont été percées pour permettre la circulation des véhicules motorisés. On le constate hélas aujourd’hui, la non-application de ces dispositions a conduit à l’empiètement des constructions sur les murailles en plusieurs endroits, intra et extra-muros. La poussée démographique dans la médina à partir des années 1960 a entraîné le lotissement de zones autrefois vierges de toute construction, y compris à proximité des remparts ainsi que la surpopulation des riads (habitat traditionnel à patio). Ce phénomène de surpopulation lié à une spéculation très importante a entrainé la dégradation et l’insalubrité de ce patrimoine architectural. Toutefois, on assiste aujourd’hui à une nouvelle dynamique sociale qui va permettre pour la première fois depuis plus de 50 ans, la sauvegarde et la valorisation des ancien riads. Il s’agit de l’installation des Européens dans ces demeures vendues par les marocains. Cette occupation encouragée par le tourisme grandissant s’avère être extrêmement bénéfique pour le patrimoine architectural de la médina et représente un véritable espoir pour la préservation de celle ci. La spéculation foncière a aussi eu des effets très négatifs sur la Palmeraie de Marrakech. Veritable « poumon vert » de la ville occupant près de 6000 hectares, la palmeraie était autrefois beaucoup plus vaste, s’étendant du pied des remparts sur le territoire Nord-Est de la périphérie de Marrakech jusqu’aux rives de l’Oued Tensift. La Palmeraie était alors, comme l’affirme El Faiz, un réservoir dans lequel toute une population puisait les symboles de son enracinement, mais aussi la mamelle nourricière de la ville et de son artisanat. En plus de cette fonction nourricière et agricole, la Palmeraie était aussi un lieu de promenade et de loisirs pour ses habitants, un lieu qui regorgeait de « joie de vivre ». Aujourd’hui, ce patrimoine végétal, culturel et patrimonial est en train de se détériorer à une vitesse remarquable. L’urbanisation de la Palmeraie est l’une des causes de sa transformation sous plusieurs aspects. Bien qu’elle soit protégée par un dahir (loi) remontant à 1929, la palmeraie est depuis 1990 le lieu d’une pression de développement ayant plusieurs effets néfastes sur la question de l’eau et de l’agriculture. Ces nouvelles formes d’occupation, touristiques, commerciales et résidentielles contribuent à transformer les structures traditionnelles de l’habitat (douars). L’expansion des installations touristiques, est visible un peu partout à Marrakech, mais c’est à l’intérieur de la palmeraie que durant les 10 dernières années on a vu l’augmentation la plus haute d’offre hôtelière. Les équipements qui les accompagnent prennent des proportions phénoménales, ils incorporent des complexes sportifs, des centres de congrès luxueux, des jardins, golfs et piscines. Les complexes hôteliers, comme les « Jardins de Palmeraie », sont souvent bâti à quelques pas des douars et s’isolent par des remparts. Cette situation marque une forte tendance à la ségrégation et l’isolement des communautés. Bien qu’aujourd’hui le terme « douar » soit synonyme de bidonville, il désignait à l’époque de la création de la ville une unité productive qui soutenait le développement de la ville. En effet, depuis sa naissance, Marrakech a continuellement évolué avec ces douars. À partir du moyen âge lorsque Marrakech est devenue capitale de l’empire, il s’est crée autour de la ville un anneau de verdure comparable aux ceintures vertes de l’Europe. Cet ensemble de jardins et de vergers était entretenu par les habitants des douars ruraux. A cette époque les douars avaient donc une fonction nourricière pour la ville et leurs habitants étaient d’habiles agriculteurs et jardiniers. Aujourd’hui ces espaces sont des foyers de pauvretés marginalisés et exclus. Les habitants des douars sont essentiellement issus de l’exode rural. Ce sont souvent des paysans appauvris par les famines et les mauvaises conditions agricoles, qui se sont laissé guidé par les promesses d’opportunités économiques et sociales de la grande ville et qui se sont finalement retrouvés piégés par celle-ci dans la ville informelle. Ces habitants meurent plus jeunes, sont plus exposés à la faim et à la maladie, sont moins éduqués et ont moins d'opportunités d'emploi que les autres résidents des villes. Aujourd’hui, à Marrakech, près d’un habitant sur trois vit dans un douar. Plusieurs tentatives modestes et très limitées ont été engagées pour la réduction ou l’élimination des bidonvilles, la  trame d’urbanisme dite trame sanitaire de 1950 à 1970, les projets dits de développement urbain (PDU) durant la période 1970-1980, puis à partir de 1980 la stratégie des parcelles constructibles. Ces stratégies n’ont eu qu’un effet très réduit, ces  foyers de la pauvreté durable se propageaient et poussaient partout à travers tous les tissus urbains du Royaume . C’est alors que grâce à la coopération internationale le Ministère de l’Habitat a mis en place-vers les années 90 -un programme spécial de lutte contre l’habitat insalubre .Celui ci portait sur 107 opérations au profit de 100.000 ménages bidonvillois. Sa réalisation fut confiée aux opérateurs sous tutelle du Ministère de l’Habitat (ANHI, SNEC,..).Les résultats furent relativement meilleurs mais partiels, les moyens et les fonds mobilisés étaient loin de combler les besoins et la forte demande. Par ailleurs il faut souligner que les solutions de l’Etat pour lutter contre ce phénomène d’habitat spontané consiste à supprimer ces poches de pauvreté et à ghettoïser ses habitants dans des villes satellites fantômes. L’Etat ne semble pas vouloir s’ouvrir à des solutions plus appropriées et adaptées aux besoins de ses habitants. Face à l’incurie des autorités, les individus développent des stratégies de contournement et d’adaptation, qui vont devenir la dominante des comportements actuels. Conclusion Les effets de l’urbanisation non contrôlée sur la ville de Marrakech se révèlent être particulièrement intéressants à étudier dans la mesure ou il s’agit d’une ville à tradition urbaine ancienne , implantée dans une région peuplée de sédentaires aux habitudes architecturales nettement ancrées . Faiblement industrialisée durant la période coloniale, elle fait partie de ces villes où l’habitat périphérique spontané a pris un aspect spectaculaire surtout à partir de l’Indépendance et concerne actuellement au moins le tiers de la population urbaine. La ville s’est vue amputée de ses espaces verts et de l’organe vital qui lui permettait de tempérer son climat et de conserver sa biodiversité : la palmeraie (territoire ou les douars côtoient les complexes hôteliers de luxe). Elle a aussi vu son patrimoine millénaire dilapidé au profit d’une spéculation foncière toujours plus forte. Selon Mohamed El Faiz, le « vandalisme patrimonial » est orchestré par une concertation entre les lobbies politiques et privés qui ont profité du « vide juridique et du laxisme de l’Etat » pour exploiter limage de la ville et sa notoriété afin de servir ses intérêts immédiats ». Dans son ouvrage, il soulève des questions fondamentales concernant la ville et qui devraient être des guides pour sa planification urbaine, aujourd’hui inexistante. Comment en l’espace d’une vingtaine d’années la ville à l’image des cités jardins d’Europe a été victime de la dilapidation de son patrimoine foncier et culturel ? Comment les douars qui entretenaient une relation nourricière positive avec la ville avant le protectorat, sont devenus peu à peu des lieux d’exclusion et d’informalité ? Face au problème des douars, on assiste aujourd’hui à un dépassement total des instances publiques. Deux solutions sont aujourd’hui mises en œuvre : le « recasement » des habitants des douars dans les « hlm » des villes satellites (Tamansourt) ou l’installation des infrastructures de base (eau, électricité) in situ. Déloger ces familles par des expulsions ou des pratiques discriminatoires et les entasser dans des modèles d’habitat non adapté et dont l’échec a été prouvé ? Ou les laisser dans leur logements insalubres et se contenter de régler une infime partie de leur problème ? Aucune de ces solutions ne semble adaptée, alors comment les aider à mieux s’intégrer dans le tissu urbain ? Faut-il continuer à annexer les douars à la ville dans l’espoir de voir se problème se résoudre ? Ou faut-il leur trouver une nouvelle fonction qui prendrait racine dans leur passé ? Bibliographie Allégorie du patrimoine, Françoise Choay, 1996 Construire avec le peuple, Hassan Fathy, 1999 Des villes pour une petite planète, Richard Rogers, 2000 La medina de Marrakech, Wilbaux Quentin, 2001
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