La situation de l'auteur (professionnelle, historique, intellectuelle) et la place de cet ouvrage.
Jacques Binet est un ancien administrateur de la France d’outre-mer, Directeur de recherches à l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, et Professeur au Centre International d’études francophones de l’Université Paris IV, Sorbonne.
Jacques Binet est breveté des langues orientales et de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer en 1938, Docteur en droit et en lettres en 1942, il est ensuite affecté en France entre 1941 et 1944, au ministère des Affaires Economiques. Il fut nommé Chef de la subdivision de Foumbot au Cameroun entre 1945 et 1947, avant d’être de retour en France l’année suivante et ce jusqu’en 1953.
Il fut intégré à l’ORSTOM au département des recherches scientifiques entre 1055 et 1972, puis détaché au Bureau pour le développement de la production agricole pour l’étude de la palmeraie d’Alokogti au Togo et celle du projet de barrage du Konkouré en Guinée. Il participera ensuite à divers projets en Afrique, avant d’enseigner, entre autres, le cinéma africain et la sociologie à l’Université francophone d’Alexandrie ainsi qu’à l’Université de Paris IV jusqu’en 2000.
Il réaliste différentes missions orientées vers le développement rural, avec l’Organisation des Nations Unies, la FAO, la BDPA, puis deviens titulaire de la Croix de guerre et Chevalier de l’ordre de l’Etoile Noire du Bénin avant d’être élu membre correspondant de l’Académie des sciences d’outre-mer en 1971 puis membre libre en 1980.
L'ouvrage Diogène : Urbanisme et Langage des villes Africaines trouve toute sa place dans la réflexion et les recherches que l'auteur a menées tout au long de sa carrière, à savoir, l’urbanisme en Afrique, l’organisation des centres et des quartiers d’une ville à l’autre pour la première partie de l’article, puis le langage que les villes transmettent pour la deuxième partie.
Les questions centrales de l’ouvrage.
L’auteur défend dans un premier abord de l’ouvrage une définition, celle de l’urbanisme en grappe. C’est-à-dire un urbanisme qui est par exemple « particulièrement perceptible à Yaoundé où le relief est marqué : chaque quartier est construit sur sa colline », ou bien encore où « la pluralité des quartiers s’impose dès le premier abord. L’observateur a l’impression d’un urbanisme en grappe. » . Celui-ci « a des racines fort lointaines et se raccorde aux traditions les plus anciennes et en quelque sorte à la philosophie clanique. ». L’auteur apporte cette définition à plusieurs villes d’Afrique, et l’utilise pour expliquer cette disposition de la ville en quartiers séparés, comme si elle avait « été imposée avec la colonisation pour assurer la séparation et la protection des Blancs ». Un usage qui selon lui est très ancien, donnant un autre exemple du Moyen-âge, quand el-Bekri donnait une description de Ghana telle qu’elle « se compose de deux villes situées dans une plaine. Celle qui est habitée par les musulmans renferme douze mosquées. La ville habitée par le roi est à six miles de celle-ci et porte le nom d’El Ghaba, la forêt. Le territoire qui les sépare est couvert d’habitations ».
L’auteur s’interroge ici sur la séparation des quartiers urbains, qui selon lui a des sources traditionnelles. On parle ici d’une conception de l’urbanisme probablement née des croyances profondes, à San au Mali, où autrefois, l’enceinte était divisée en quatre quartiers par des murs fortifiés. Mais, les quatre quartiers ont-ils quelque relation avec les quatre dimensions de l’espace?
Une des raisons de la séparation des quartiers pourrait venir du fait que la répartition s’est faite de manière rapide, sans grands efforts non plus de limites, engendrant les fonds de terrains, peu visibles, à ne pas être affectés et à former une séparation entres les quartiers.
« Dans les villes anciennes, la disparition de ces terrains vagues vient confirmer l’hypothèse : les zones les plus favorables à la construction sont occupées d’abord, mais les zones moins favorables sont aménagées à leur tour ». Vient ici l’exemple de Libreville, donné par l’auteur qui exprime que la ville « donne particulièrement, dans certains de ses quartiers, l’impression d’une ville sans ségrégation raciale ou sociale ». On parle ici bien sûr des diverses couches de la population qui s’y mélangent et qui font que la proximité de la voie publique, goudronnée, pourvue d’eau et d’électricité, fait la différence entre riches ou pauvres, Blancs ou Noirs. L’auteur fourni plus loin dans l’ouvrage divers exemples de séparations de quartiers, allant des ravins et ruisseaux jusqu’aux décisions des Hommes. Il avance dans le temps et nous parle de la modernisation des villes, des questions du vieillissement des centres. Je ne connais que trop peu le sujet pour m’y avancer, mais pourrai dire qu’il s’agit d’un problème qui au jour d’aujourd’hui est en phase au changement, si l’on compare celui-ci aux années 1970.
Lorsque l’on parle des villes, il faut également prendre en compte la notion de langage, non pas le langage parlé par les habitants, mais celui parlé par la ville, le message qu’elle transmet à sa population. « Qui parle à travers elle? Comment pensées ou sentiments trouveront-ils le moyen de s’exprimer? Quels sont enfin les choses que la ville nous dit d’elle-même? Telles sont les trois questions qui peuvent se poser », se questionne Jacques Binet.
Sa réponse, le langage d’une ville se transmet par son concept d’urbanisme, ses plans, ses buildings, plus haut les uns que les autres.
Selon Jaime Lerner (Urban Acupuncture, 2014), le langage d’une ville se transmet par ses habitants, et leurs actions, ce qu’ils font quotidiennement pour rendre leur ville meilleure et plus plaisante à vivre, pour eux et pour les autres aussi. Le langage d’une ville passe donc par l’amour qu’on lui porte. Dans son ouvrage Urban acupuncture, il dit: « Begin by drawing your city. Draw your neighbourhood and mark the people you know. Greet them by name. That’s good acupuncture. Shop in the market and places where the owners and families attend to their customers. That’s another nudge of love for your city… “. Une toute autre vision que celle de Jacques Binet, tout aussi intéressante.
Jacques Binet, qui par ailleurs, évoque les croyances comme langage de la ville, avec des lieux fastes ou bien encore maudits. On parle ici de croyances proprement urbaines qui viennent à se développer. « A Abidjan, tel carrefour est réputé dangereux parce que les esprits de la lagune y détournent l’attention des conducteurs de voitures et provoquent de nombreux accidents ». Ainsi doit-on deviner comment l’image de l’espace urbain se présente dans l’esprit de ses habitants, est-ce différent d’une personne à une autre, d’une ville à une autre, est-ce différent dans l’esprit d’un enfant, d’une personne âgée qui aurait vécue ici toute sa vie ? « Comme souvent dans les études africanistes, on voit se dessiner les traces d’une vie double, à la fois traditionnelle et moderne, européenne et africaine ».
Conclusion: discussion et critiques.
Urbanisme et Langage dans la Ville Africaine est un article, approchant deux sujets, dans un premier temps l’urbanisme de la ville Africaine, puis son langage. Deux sujets différents et pourtant liés l’un à l’autre, tout deux étant l’essence de la ville même.
Jacques Binet apporte de nombreux exemples de différentes villes africaines, rapportant les faits de 1976 à l’Histoire des villes, avant 1800 même. Il approche la notion d’urbanisme sous plusieurs angles, et compare beaucoup les plans des villes à un plan d’urbanisme en grappe. Tout en expliquant le pourquoi de cet urbanisme.
La notion de langage de la ville vient plus loin, avec plusieurs notions de langage de la ville, cependant, d’autres notions telles que celles que Jaime Lerner (Urban Acupuncture, 2014) auraient pu être expliquées, si tant est qu’elles l’étaient déjà à l’époque.
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