Abstract
Très tôt les sciences sociales ont conçu et mis en usage « la représentation
» (cette façon de rendre symboliquement présent à soi et à autrui
tout ou partie du monde en dehors du champ de la perception directe).
Que cela soit par exemple chez Émile Durkheim avec la notion holiste
de représentations collectives ou chez Sigmund Freud avec celle plus
psychologique de représentation intrapsychique (« représentance »),
on a tenté de prendre en compte dans l’étude des phénomènes humains
cette part qui apparemment revient à la subjectivité de l’individu
pour la relier à son environnement social. Très tôt aussi on s’est
interrogé sur la causalité en jeu : la représentation est-elle le
simple effet passif et souvent déformé de ce monde par le biais des
pratiques dont elle serait une reproduction simulée (thèse d’Emile
Durkheim à la suite déjà de Karl Marx), ou possède-t-elle une certaine
autonomie qui par la force des connexions logiques et des réactions
affectives lui donne puissance de structurer les pratiques et de
modifier le monde (thèse de Max Weber) ou encore, ces thèses étant
jugeables réductrices, la représentation et la pratique sont-elles
les deux versants indissociables d’une même réalité (thèse de Pierre
Bourdieu avec le concept d’habitus)?
C’est en reprenant ces problématiques que l’équipe, coordonnée par
Denise Jodelet, équipe qu’on appelle « l’école française des représentations
sociales », s’attaque aux représentations en tâchant de les relier
aux diverses dimensions de la vie humaine et sociale, en leur conférant
le rôle fondamental de centre de liaison et de coordination.
Dans le texte qui suit le lecteur pourra constater que cette école
construit un appareil d’analyse très syncrétique : d’Émile Durkheim
à Jean Piaget sans négliger Sigmund Freud, rien n’est mis de côté
de l’héritage des sciences sociales pour tenter d’aborder ces représentations
dans la multidisciplinarité si ce n’est même la transdisciplinarité.
L’influence de la psychologie sociale américaine n’est pas non plus
rejetée ici: le souci qui conduit les auteurs à expliquer et comprendre
les élaborations de ces représentations au travers des interactions
dans les groupes entre individus, rappelle nombre de travaux de recherche
où aux USA des spécialistes s’appliquent à ramener les phénomènes
globaux du social à des actions et réactions interindividuelles étudiables
psychologiquement (type d’approche que Durkheim, dont pourtant se
réclament nos auteurs, prohibait radicalement). Aussi ce syncrétisme
peut-il paraître nuire finalement à l’unité et à la cohérence de
cette forme de recherche et de théorie. Cependant le mérite resterait
dans cette tentative de rassembler et de synthétiser ce qui trop
souvent se trouve trop facilement séparé et placé en absolu.
Il sera toujours bon, en tout cas, dans toute enquête utilisant questionnaires
et entretiens pour recueillir des informations issus de l’univers
mental des individus, d’avoir à l’esprit les problématiques concernant
les représentations et les théories que leur usage met en jeu.
Bernard Dantier, sociologue
27 mai 2007.
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