Comment la santé mentale, idée progressiste de la psychiatrie d’après-guerre, s’est-elle transformée en outil de normalisation et de contrôle ? Dans les années 1980, une neuropsychiatrie « scientifique » a ouvert la voie au discours gestionnaire : il s’agissait désormais de classer, de gérer, d’évaluer. Pour cela, la notion de santé mentale est devenue un opérateur essentiel, car, selon un rapport officiel, « la mauvaise santé mentale coûte à l’Union européenne de 3 à 4 % du produit intérieur brut, à la suite d’une perte de productivité ». La pression de l’industrie pharmaceutique, le rôle dominant des neurosciences dans la recherche, la dévalorisation systématique de la psychanalyse, toute cette dérive fait de « la santé mentale pour tous » une nouvelle norme, un outil dans la gestion néolibérale des populations. Le « complet bien-être », le bonheur sous contrôle, telles sont les visées que sous-tend le terme faussement rassurant de santé mentale.